[Portrait] Dwight Buycks, du banc d’Ostende à celui de Toronto

Le 06 août 2013 à 17:43 par Kevin

MVP de la Pro A la saison passée alors qu’il était un véritable inconnu à son arrivée, l’Américain Dwight Buycks ne comptait pas s’arrêter en si bon chemin. Dès le début de la Summer League d’Orlando, il a tapé dans l’oeil des scouts NBA en enchaînant les belles performances avec le Thunder. A tel point qu’à 24 ans, Toronto lui a proposé son premier contrat NBA avant même le début de la Summer League de Las Vegas, où il a une nouvelle fois brillé. Une belle revanche pour le natif de Milwaukee, contraint à l’exil après avoir été non-drafté en 2011, lorsque son coéquipier de Marquette, Jimmy Butler, était lui choisi par les Bulls. Il aura une nouvelle fois un rôle de remplaçant, voire de joueur de bout de banc, mais ça il connaît maintenant…

Dwight Buycks naît le 6 mars 1989 à Milwaukee (Wisconsin). Il est le dernier enfant d’une famille modeste de cinq progénitures (il a deux frères et deux sœurs). Son enfance n’est pas aussi dure que celle de son futur coéquipier de Marquette, Jimmy Butler, mais il n’est pas né avec une cuillère d’argent dans la bouche, loin de là. Dans une interview à La Voix du Nord, le 23 février dernier, il reconnaît que cette période de sa vie a forgé son caractère de battant.

“On m’a préparé à devenir adulte. On m’a appris que rien n’était donné gratuitement dans la vie. Ça, je ne l’ai jamais oublié.”

Sa famille n’était pas la plus pauvre, ni la plus riche, mais elle ne quittait jamais le contexte violent de Milwaukee pour partir en vacances, faute de moyens. Avec l’exemple de ses frères et sœurs en tête, Dwight sait qu’il doit travailler s’il veut réussir. Lorsque son frère lui montre les mouvements des joueurs NBA, il essaie de les reproduire. C’est de là qu’il explique tirer le fadeaway qu’on lui connaît. Sans avoir réellement de héros, le petit Dwight pouvait jouer des journées entières, avant de se mettre à pleurer lorsque sa mère lui disait qu’il était l’heure de rentrer. Un bourreau de travail est né. Avec le recul, le futur meneur des Raptors sait qu’il doit beaucoup à sa mère.

“Aujourd’hui, je suis content d’être là (à Gravelines), d’avoir une bonne situation si elle a besoin d’aide ou pour améliorer sa vie.”

Ainsi, son destin s’emballe au sein du Bay View High School de Milwaukee, entre 2003 à 2007. Il démontre déjà toutes ses qualités de scoreur, en étant le premier joueur de l’histoire de son école à dépasser les 1000 points. Il en inscrit 1312 exactement, ce qui lui vaut d’être élu tous les ans dans l’équipe All-Stars de l’état du Wisconsin. Il mène même son collège au titre de championnat lors de son année senior (quatrième et dernière année). A 18 ans, le temps est venu pour lui de quitter le cocon familial, sans trop s’en éloigner pour autant. Il s’en va tout près, dans l’Iowa, à l’Indian Hills Community College, pour y défier les meilleurs jeunes de la Big East.

Une star à Indian Hills, un joueur de banc à Marquette

Très vite, le prodige reprend ses bonnes habitudes. Il score à tout va, et devient le troisième meilleur marqueur de l’histoire du collège, en inscrivant 1254 points de 2007 à 2009. Outre les belles performances individuelles, les résultats collectifs sont encourageants car Dwight Buycks n’est pas qu’un simple scoreur. Il sait aussi faire gagner les siens, et mène Indian Hills à un bilan de 58 victoires pour seulement 13 défaites.

Ses belles prestations lui valent d’être repéré par la prestigieuse de Marquette, qui a vu éclore une superstar de la NBA en la personne de  Dwyane Wade. En 2009, il débarque dans une équipe déjà composée de Layzar Hayward, Darius Johnson-Odom ou encore Jimmy Butler. La tâche s’annonce ardue, mais le cadet de la famille Buycks obtient 24 minutes de temps de jeu par match, pour sa première année dans le Michigan. Il n’inscrit pas plus de 6 points de moyenne, mais son rôle est clair : il est le sixième homme d’une équipe ambitieuse. Malheureusement, Marquette déçoit. Pourtant outsiders à l’Est, les Golden Eagles sont éliminés dès le premier tour face à Washington. La star des Huskies, Quincy Pondexter, crucifie les joueurs de Buzz Williams à 1,7 secondes du buzzer, devant un Diwght Buycks impuissant (13 minutes, 4 points à 2/3 aux tirs), scotché sur le banc.

La saison suivante ne sera pas plus emballante pour le futur protégé du Sportica de Gravelines. Layzar Hayward drafté par le Jazz l’été dernier, les Golden Eagles se reposent sur Darius Johnson-Odom et Jimmy Butler pour cette saison 2010-2011, mais Dwight Buycks ne parvient pas à tirer davantage son épingle du jeu. La concurrence avec Jae Crowder ne l’y aide pas. Pour autant, il maintient un temps de jeu convenable. Marquette termine dans les tréfonds de la Big East avec un bilan médiocre de 9 victoires pour 9 défaites. Au premier tour de la March Madness, les Golden Eagles éliminent les Friars de Providence, où brille un certain Marshon Brooks. Puis, face à une équipe mieux cotée :  West Virginia, Darius Johnson-Odom inscrit le panier de la gagne qui permet à Marquette de défier Louisville, tête de série numéro 3, lors du tour suivant. Dwight Buycks est une nouvelle fois dans le cinq de départ, mais il n’inscrit que 8 points. Insuffisant pour créer l’exploit.

Car cette fois, la marche est trop haute pour les Golden Eagles. Le natif de Milwaukee ne brille pas, et fini sa saison avec une performance quelconque. Sans croquer, mais sans prendre le jeu à son compte, Dwight ne parvient pas à retrouver son talent naturel de scoreur, bloqué par les leaders désignés de Marquette. A 22 ans, son cursus universitaire est pourtant bel et bien terminé. Il n’a pas le choix, il va devoir se présenter à la draft 2011, sans véritables garanties, et après une March Madness ni loupé, ni réussi. Quelconque. 

La D-League comme seule issue

Alors que son coéquipier Jimmy Butler est sélectionné à la toute fin du premier tour, en 30ème position par les Bulls, Dwight Buycks n’aura pas la chance de son ami. Ses premiers espoirs de NBA s’envolent alors. Le jeune meneur de 22 ans fera donc partie de la longue liste des joueurs qui seront présents à la draft de la NBDL,en novembre de la même année. Bien moins célèbre, celle-ci est pourtant une chance unique pour le jeune joueur de se faire remarquer. Il le souligne lui-même, ce passage en D-League a fait de lui le joueur qu’il est aujourd’hui. Le 2 novembre 2011, il est ainsi sélectionné en 22ème position par les 66ers de Tulsa, franchise affiliée au Thunder d’Oklahoma.

Dans une D-League où chacun est là pour se faire remarquer, le meneur-scoreur sait se mettre en avant. Il inscrit 15,2 points et distribue plus de 2 passes décisives par match. Suffisant pour être repéré outre-Atlantique, en Belgique plus précisément du côté d’Ostende. Un club qui lutte pour le titre au sein de l’Ethias League. En avril 2013, l’équipe doit faire face à la blessure de son meneur remplaçant, Dusan Kastnic, alors que la fin de saison approche et que les places valent chères pour être bien placé en playoffs. Dwight Buycks est alors engagé comme joker médical dans un rôle de second meneur. Une situation peu évidente qu’il a déjà connu par le passé à Marquette, mais le jeune homme garde sa confiance, il sait que son travail finira par payer.

“À Ostende, je suis arrivé en cours de saison, comme pigiste médical du deuxième meneur. Ce n’est pas facile, mais je savais ce que je suis capable de faire.”

Du banc, il assiste au 13ème titre national des Ostendais, qui détrônent alors Charleroi, champions depuis 4 ans, au terme d’une série ultra-serrée (victoire après prolongation 75-74 à l’issue du match 5 des finales). Mais déjà, les supporteurs belges voient en lui un joueur de talent. Ses statistiques ne sont pas flamboyantes mais l’Américain a su se montrer (4,6 points en 11 minutes de jeu de moyenne sur 14 matches).

Il n’en fallait pas plus pour que le BCM Gravelines recrute ce joueur issu de la D-League. Les dirigeants nordistes, coutumiers du fait, engagent l’américain de 23 ans le 9 août 2012, pour en faire leur meneur titulaire. Dwight Buycks ne le sait pas encore, mais sa carrière est véritablement lancée.

Gravelines, le tremplin nordique

Le succès de Dwight Buycks au BCM n’était pourtant pas chose acquise à son arrivée. Les supporteurs se demandent bien qui est ce joueur, qui cirait plus souvent le banc qu’il ne jouait de l’autre côté de la frontière franco-belge. D’autant qu’à son arrivée, on lui colle l’étiquette de successeur de l’international Yannick Bokolo. Le Français veut partir, et Dwight Buycks serait son successeur légitime. Il n’en sera rien, car après un essai raté à Séville, Boks restera dans le Nord. Encore une fois, le jeune homme va devoir se battre pour gagner sa place, mais il commence à en avoir l’habitude. Avant même son premier match, Christian Monschau exprime toute la confiance qu’il porte dans son poulain, qu’il estime capable de jouer poste 1 et 2.

“Il s’est toujours adapté là où il est passé. Que ce soit à la fac de Marquette ou l’an passé, pour sa première expérience européenne, à Ostende. Il a un style pour le championnat de France.”

Et le coach de Gravelines-Dunkerque ne s’y était pas trompé. Très vite, l’ancien joueur des 66ers de Tulsa fait souffrir les défenses françaises. Ses performances sont telles qu’il est sélectionné pour représenter la sélection étrangère lors du All-Star Game de Bercy, à la fin de l’année 2012. Avec 17 points, il mènera son équipe à la victoire face à la sélection française du désormais néo-retraité Ludovic Vaty, et alors coéquipier de l’Américain à Gravelines. Il est même élu MVP de la rencontre, alors qu’il glane ce même trophée deux fois de suite, en décembre et en janvier, pour ses performances remarquables en championnat.

Avec Gravelines, Dwight Buycks va également gagner son second titre en Europe, la Leaders Cup de Disney. Le 17 février, il inscrit 20 points en finale pour battre Strasbourg et Vincent Collet. A ce moment de la saison, le petit bonhomme du Wisconsin écrase tout sur son passage, et aucun signe de relâchement n’est à prévoir. Logiquement, il est élu MVP étranger de la Pro A, terminant l’exercice 2012/2013 avec 18,2 points de moyenne. Sur le plan collectif, le BCM culmine en tête du championnat, avec 21 victoires pour 9 défaites.

Ambitieux, Christian Monschau et ses joueurs n’ont qu’un objectif en tête : le titre. Mais sur leur chemin, les Nordistes vont rencontrer la JSF Nanterre, 8èmes de la saison régulière, et dans un véritable état d’euphorie tout au long des playoffs. Dépassés par l’adresse insolente des hommes de Pascal Donnardieu, les coéquipiers de Ludovic Vaty s’accrochent, Dwight Buycks le premier. L’Américain inscrit 29 points pour tenter de tenir tête à la folie des David Lighty et autre Stephen Brun, mais Gravelines s’incline 101-95 lors du match 1.

Le match 2 sera alors un véritable chemin de croix pour Dwight Buycks. Ciblé par la défense héroïque des Franciliens, le MVP en titre va déjouer et sans lui, son équipe s’écroule. Il termine la rencontre et sa saison par un vilain 0/7, avec seulement 2 points au compteur. Gravelines s’incline 88-68 et sort par la petite porte. Pour Buycks, l’aventure française se termine prématurément, ce soir du 15 mai 2013. Un déchirement pour le jeune homme, très attaché aux personnes qu’il a découvert à Dunkerque. 

“J’ai vécu une année fantastique au BCM, Maintenant, c’est dur de quitter ces gars avec qui tu as passé une si belle saison. On s’est dit au revoir et on ne sait pas quand on se reverra parce qu’on ne sait pas de quoi notre futur sera fait. On a fait un dernier repas où on a surtout essayé de garder le sourire, de profiter du moment présent et de ne pas penser à la suite parce que sinon les larmes seraient montées.” déclare t-il le 21 mai, sur le site officiel du club. Apparemment, Dwight Buycks aurait lui aussi vécu l’adage de Dany Boon.

Mais sa saison n’est pas finie pour autant. Désormais, le meneur a un objectif en tête :décrocher une place dans un roster lors des Summer League, deux ans après sa non-sélection à la draft. Et là encore, il n’oublie pas de remercier l’équipe qui lui a tant appris.

“Désormais, je dois me préparer pour les Summer Leagues NBA et je garderai contact avec le coach pour discuter des opportunités, je ne sais vraiment pas ce qu’il va arriver. En tout cas, que je revienne ou non à Gravelines, c’est ici que ma carrière aura commencé et je tiens encore à en remercier mes coéquipiers, le staff et les supporteurs. “

Trois matches et déjà une proposition

Ancien membre des 66ers de Tulsa, franchise de D-League affilée à Oklahoma City, Dwight Buycks rejoint le roster du Thunder pour la Summer League d’Orlando début juillet. Une chance unique pour lui de montrer ce qu’il sait faire. Et fort de son expérience européenne, le MVP en titre va impressionner au sein de l’armada d’Oklahoma. Avec Jeremy Lamb et Reggie Jackson à ses côtés, le plus Français des Américains ne se dégonfle pas et cumule 9,5 points et 6 passes décisives durant les quatre victoires de son équipe.

 Il n’en fallait pas plus pour convaincre Masai Ujiri, nouveau GM des Raptors, de le signer pour en faire le back-up de Kyle Lowry. Un contrat garanti d’un an que le meneur de Gravelines s’empresse de parapher alors qu’il devait jouer à Las Vegas, avec le Heat. On apprendra plus tard que la proposition des Canadiens lui est parvenu seulement au bout de 3 matches à Orlando. Dans une compétition où le seul objectif est de se faire remarquer, cet exploit est paradoxalement très rare.

Gravelines est évidemment très fier de son poulain. Ses  coéquipiers, Yannick Bokolo en tête, s’empressent de le féliciter sur Twitter, tandis que son directeur exécutif, Hervé Beddelem, n’a pas tardé à lui rendre hommage.

“C’est une réelle fierté de voir sa réussite car c’est un gamin qui le mérite, comme il a mérité son titre de MVP. C’est également la première fois qu’un joueur intègre la NBA après un passage au club (Gravelines-Dunkerque) et nous en sommes honorés.”

Logiquement, il démarre la deuxième ligue d’été avec les Raptors, et son duo avec Jonas Valanciunas permet aux Canadiens de se hisser jusqu’en quarts de finale. Toronto aurait même pu aller plus loin si le Lituanien n’avait pas été mis au repos plus tôt. Il n’empêche que Dwight Buycks est tombé les armes à la main, marquant 28 points dans la défaite finale face aux Suns des jumeaux Morris. 

Une rude concurrence à Toronto

Cinq jours après la signature de son contrat, Dwight Buycks a eu la mauvaise surprise d’apprendre que Masai Ujiri a décidé de recruter un nouveau meneur : DJ Augustin. Décevant à Indiana, l’ancien meneur des Cats veut se relancer dans l’Ontario. Logiquement, Dwane Casey devrait faire redescendre Dwight Buycks dans la hiérarchie des meneurs avec cette arrivée, mais la logique est rarement respectée quand on parle du cadet de la famille Buycks. Nulle doute qu’il a une carte à jouer face à un joueur en manque de confiance, et un meneur titulaire fragile. 

Le petit bonhomme du Wisconsin n’a pas peur des défis. Il a soulevé un à un tous ceux qui se sont présentés à lui jusqu’ici. Partir du bout du banc et gravir les échelons un à un, il connaît. Sur de ses qualités, il aura à cœur de prouver que sa place dans un roster NBA n’est pas usurpée. A l’instar de son ami et ancien partenaire de Marquette, Jimmy Butler, Dwight Buycks est un travailleur acharné.  Et nulle doute que ce joueur au style qui rappelle Brandon Jennings (en moins croqueur) ne renierait pas une carrière identique à celle d’Udonis Haslem, qui a su s’imposer en NBA après un passage d’un an à Chalon sur Saône.