Les rebonds de Russell Westbrook : stat padding ou véritable tactique collective ? Autopsie d’un style de jeu qui aura banalisé l’exceptionnel

Le 14 déc. 2018 à 08:45 par Theophile Vincent

Russell Westbrook
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Si on vous dit “triple-double”, à qui pensez-vous ? Oscar Robertson, Magic Johnson, Jason Kidd ou Russell Westbrook ? Si certains joueurs ont brillé à travers cette prestigieuse catégorie, le meneur de jeu d’Oklahoma City en est désormais le spécialiste unanime après avoir bouclé sa deuxième saison consécutive en triple-double de moyenne. La saison 2018-19 semble montrer que le Brodie est en bonne voie pour continuer le massacre et empiler les triple-doubles à une vitesse folle, relançant encore le débat autour du MVP 2017. Égoïsme, stat padding ou tactique collective adoptée par l’équipe ?

Pour retrouver les origines de l’amour de Russell Westbrook pour le triple-double, il faut remonter à la Draft 2008 lors de laquelle les SuperSonics de Seattle jettent leur dévolu sur le jeune meneur de jeu tout droit sorti d’UCLA. Prometteur et talentueux, Russell s’intègre très vite sous les couleurs du Thunder, puisque la franchise a déménagé une semaine après la Draft, et claque le premier TD de sa carrière le 2 mars 2009, le premier d’une très longue série. Très vite et très jeune, Russ s’impose comme un meneur atypique et athlétique qui utilise sa hargne et ses deux mètres d’envergure pour s’imposer dans n’importe quelle raquette et représenter la parfaite machine à triple-double qu’il est. Scoreur, passeur et gros rebondeur, le numéro 0 forme le duo que l’on connaît avec Kevin Durant, dont le départ correspond étrangement à l’explosion du Brodie. Le 4 juillet 2016, KD prend l’admirable décision de rejoindre les Golden State Warriors dans le but de relever un immense défi, laissant ainsi son frère d’armes seul dans le navire du Thunder. Faiblement encadré et se retrouvant avec les responsabilités de la franchise sur ses épaules, Russ West décide de mettre la Ligue à ses pieds et de faire tomber le record que l’on pensait intouchable : les 41 triple-doubles d’Oscar Robertson en une saison. Après tout, quand on déclare que le ballon est notre seul ami sur le parquet, c’est normal que l’on veuille autant l’attraper.

Il y a eu un pendant Kevin Durant et un après Kevin Durant. Lorsque le Thunder était une des plus grosses équipes en devenir, les jeunes pousses se partageaient les tâches et chacun tentait de grandir pour un jour décrocher la fameuse bague. Déjà excellent dans le domaine, Westbrook réussit 37 triple-doubles jusqu’au départ du Cupcake, sur ses huit premières saisons en NBA, dont 29 sur les deux derniers exercices avec son poto. Avec ces 37 triple-doubles, le chouchou d’OKC serait actuellement neuvième au classement All-Time devant un certain… James Harden. Mais la saison 2016-17 marque un véritable tournant pour l’histoire du triple-double puisque Billy Donovan laisse les clefs du camion à son nouveau franchise player qui met le paquet pour inscrire son nom dans la légende, dans une saison où il ne passera pas le premier tour des Playoffs. Depuis, le meneur a enregistré 73 triple-doubles pour ainsi porter son total à 110 et s’installer à la troisième place du classement All-Time, derrière Magic et Robertson. Pour faire simple, Russell Westbrook a presque claqué le double de TDs en deux saisons et le quart de celle en cours, que sur les huit saisons passées avec Kevin Durant. C’est tout, et il semble désormais que rien ne pourra l’empêcher de faire tomber l’autre record de l’ancien des Bucks : 181 triple-doubles en carrière.

Mais comment cela est-il possible ? Pour certains, l’explication est toute trouvée puisqu’il ne s’agit ni plus ni moins de stat padding, ce qui consiste à abuser d’une faille pour augmenter ses stats même si cela ne représente aucune difficulté ou chance de gagner. Voilà à quoi en est réduit un des meilleurs joueurs de sa génération et pourtant le débat a bien lieu d’être puisque beaucoup de spectateurs ont parfois remarqué cette obsession pour le rebond, tout comme le petit coup de pouce donné par ses coéquipiers. Parce que oui, il faut être honnête, si le Brodie capte autant de rebonds, c’est parfois parce que ses coéquipiers ne viennent pas les chercher. Mais pourquoi ? Par peur d’être mordu par le chien enragé dans les vestiaires ou parce que le jeu du Thunder s’est construit là-dessus au fil du temps ?

Vous le savez, l’équipe d’Oklahoma City est une, voire l’équipe la plus athlétique de la Ligue et le recrutement a toujours été fait en ce sens (erreur de casting l’an dernier, à vous de la trouver). Pour utiliser au mieux une équipe aussi athlétique, il faut utiliser au mieux le meneur le plus athlétique et Billy Donovan a construit un plan de jeu autour de sa machine à triple-double. Vous l’aurez observé, le Thunder est nettement plus efficace sur les contre-attaques que sur demi-terrain et il est tout naturel que cette équipe se concentre sur ce qui fait sa force : le fastbreak. Le jeu de transition à OKC est une souffrance pour ses adversaires, imaginez-vous défendre en reculant sur Paul George, Jerami Grant, Russell Westbrook, toutes ces gazelles excitées du dunk, sans oublier les deux jeunots Terrance Ferguson et Hamidou Diallo qui se retrouvent parfaitement dans ce plan de jeu. Coach Billy a récemment annoncé dans une interview d’avant-match qu’il voulait que son équipe soit encore plus performante sur les phases de transition, afin d’augmenter leur pace :

“J’aimerais nous voir jouer plus rapidement sur une base plus régulière, et pas juste remonter le ballon dans la moitié de terrain et laisser le temps aux équipes de se replacer. Parce que nous défendons très bien et ça nous offre des opportunités sur les paniers ratés, on peut revenir très vite sur le parquet grâce à Russell qui est tellement explosif. On doit être meilleurs pour créer ce tempo, cette pace.”

Breaking News : Russell Westbrook est un joueur explosif, le meneur du Thunder a effectivement été chronométré lors d’un workout pendant lequel il a parcouru les trois-quarts du parquet en seulement 3,08 secondes, soit plus rapidement que John Wall ou James Harden. Un meneur ultra rapide doté d’une passe et d’une vision de quaterback, au sein d’un collectif autant explosif ? Vous avez ici la raison pour laquelle RW doit récupérer le ballon dans ses mains le plus vite possible, pour profiter des failles qu’offrent les phases de transition en lançant ses bulldozers ou tout simplement en nous offrant un petit coast-to-coast des familles. Le MVP 2017 est quasiment inarrêtable une fois lancé et il a logiquement tendance à aspirer la défense, laissant de la place à un redoutable finisseur comme Paul George, lui aussi sous le charme de son coéquipier depuis qu’il a posé ses valises dans l’Oklahoma :

“Il a une vitesse que vous ne pouvez pas anticiper, que vous ne pouvez pas prévoir d’arrêter. C’est un luxe d’avoir un gars comme ça avec nous sur le parquet.”

“On plaisante là-dessus, comment courir en contre-attaque avec lui tellement il est rapide.  Le temps que tu l’attrapes, tes pieds sont foutus à essayer de le rattraper. Donc ça va être un ajustement, mais encore une fois, avoir un gars qui met autant de pression sur la défense, ça va rendre le jeu tellement plus facile pour moi. Mon boulot est la partie facile, juste finir ses actions pour lui.”

L’équipe l’a compris et a totalement intégré le plan de jeu : il faut laisser le ballon à Russell Westbrook pour enfoncer l’adversaire sur la transition. Certains ne seront pas d’accord avec ça et pointeront du doigt le “faible” nombre de rebonds de Steven Adams, un des pivots les plus dominants en NBA. Le Kiwi a une moyenne sur la saison inférieure à 10, lui qui pourtant martyrise ses vis-à-vis, ce qui irrite visiblement certains observateurs qui ont pourtant raté une statistique dans laquelle le pivot était le roi incontesté la saison passée. Qui dit laisser les rebonds défensifs, dit forcément box out, vous savez, cette technique qui consiste à protéger la zone du rebond en bloquant l’accès à son adversaire en lui caressant tendrement les côtes au passage. Lorsque le meneur se balade dans la raquette, les hommes en bleu ont désormais l’habitude de protéger le rebond pendant que d’autres se projettent déjà vers le panier adverse. La saison passée, après le All-Star Game, Aquaman menait largement la danse en nombre de box outs avec pas moins de 616 à son actif, avec presque une centaine d’avance sur son dauphin Enes Kanter qui en totalisait 521. Steven ne prend pas de rebonds défensifs ? Qu’importe, sa carcasse est en fin de compte d’une utilité précieuse puisqu’elle permet à Russell Westbrook de capter les rebonds et d’aller fracasser le cercle dans les cinq secondes qui suivent. C’est la vie que les fans de la Chesapeake ont décidé de mener et même Carmelo l’avait compris, lui qui avait décidé de servir à quelque chose lors de son passage dans l’Oklahoma.

 box out

Le Thunder a tout construit autour de Russell Westbrook depuis deux ans et c’est tout une équipe qui s’y retrouve autour du style de jeu de son fantasque meneur. Le Brodie continue d’alimenter son image de joueur égoïste chez certains mais qu’importe, les meilleurs joueurs de la NBA font rarement l’unanimité et son équipe ne s’est jamais aussi bien portée depuis le départ de Kevin Durant puisqu’elle squatte le podium de la Conférence Ouest. Un meneur qui enchaîne les triple-doubles, qui fait gagner son équipe et qui en plus défend ? On aurait presque envie d’applaudir Billy Donovan.

Sources : ESPN, 247 Sports, Basketball Reference,  KCJ Hoop, NY Times